Une nouvelle mission

Enfin sur South Door. Après plusieurs jours d’une traversée ennuyeuse où seuls les quelques typhons marins avaient réussi à titiller l’attention du lieutenant, il avait posé pied sur cet…îlot. En effet South Door était minuscule, si bien qu’on pouvait en faire le tour en quelques petites heures à peine.
Le voyage avait parfois semblé étrange pour l’équipage, puisque Cormak, de plus en plus enclin à des hallucinations, avait attaqué le cuisinier en lui vociférant des « Je t’avais dit que je te retrouverais vieille fripouille ! »
Le matelot, pris d’épouvante, avait plongé à l’eau en hurlant pour éviter la lame de son compatriote. Le malheureux avait failli finir dans l’estomac d’un monstre marin qui, passant par là, avait vu son repas lui tomber sous les yeux.
Cette situation, presque comique, n’avait apparemment pas troublé l’officier qui était reparti tranquillement faire une sieste sous les yeux écarquillés de l’équipage.
Etrangement, tout le monde avait été assez distant avec lui le reste du voyage et les adieux à l’arrivée sur South Door avaient été très bref.
Elle était donc là, cette île qui symbolisait son dernier pas dans East Blue avant d’arpenter pour la première fois les eaux troubles du sud.
Cormak entra tranquillement dans le bâtiment de la marine posté près de la côte. Il était petit, presque intimiste et plutôt coquet. La majorité de l’édifice avait été fait en bois, et on était en droit de se demander si la structure pouvait supporter toutes les intempéries et les insectes.
Un soldat grand qui avait apparemment forcé sur les petits beurres l’accueillit :

« Bien le bonjour lieutenant Amnell. Nous vous attendions. Si vous voulez bien me suivre. »

Le gradé enjamba le pas du grand corps ventripotent qui commençait à se mouvoir. Ils passèrent par un corridor où certains portraits de marines célèbres – décidément c’était une habitude- étaient accrochés. Ils arrivèrent à côté d’une simple porte sans ornements. Le soldat frappa trois coups secs.

« Entrez. », déclara une voix grave de l’autre côté de la porte.

On l’invita à rentrer et à s’asseoir. La pièce était en désordre et de nombreux papiers traînaient un peu partout. Il se retrouva en face d’un marine visiblement décoré, mais qui semblait s’être perdu sur une île où il n’avait rien d’extraordinaire à accomplir. Une légère barbiche lui mangeait une partie du visage et ses cheveux grisonnants témoignaient d’un vécu déjà conséquent :

« Bienvenue lieutenant, je suis le lieutenant-colonel Bradford. Nous tenons ici à rencontrer tous les officiers désirant se rendre sur South Blue afin de leur souhaiter bonne chance en vue de leurs prochaines aventures. Bien évidemment, si vous voulez rester…
- Quand puis-je partir ? –le coupa Cormak. Je suis pressé et je ne compte pas m’attarder.
- Et bien nous assurons le voyage vers East Bay grâce à des capsules pneumatiques révolutionnaires, nous les appelons les…
- Bien, quand celles-ci seront-elles disponibles ?
- Ce… c'est-à-dire que la plupart ont déjà été utilisées et…
- Et donc ?
- Il en reste une mais elle est réservée par un autre de nos officiers, je vous prierais donc d’attendre jusqu’à demain.
- Demain ? Mais je n’ai pas de temps à perdre. Contrairement à vous je suis occupé et j’ai des tâches à accomplir !
- Pardon ? Comment osez-vous vous adresser à moi de la sorte ! Je suis votre supérieur et vous me devez…
- Taratata, je vois bien que vous n’avez que votre titre en votre faveur. Cet endroit misérable convient bien à ceux qui ont perdu leur ambition. En avez-vous seulement déjà eu ?
- Mon garçon si vous continuez j’écrirais un rapport comme quoi…
- Vous ne ferez rien du tout, parce que vous voulez être tranquille et parce que cela ne servirait à rien. Je vois votre bureau, ces paperasses qui s’accumulent et je ne vois pas comment vous pourrez encore inspirer du respect. Mais passons, qui est ce gradé ? Est-il ici ? Quel est son nom ?
- Sortez ! Vous ne méritez pas que je vous répon…
- Vous allez me répondre et en échange je quitterai ce bureau crasseux. Dépêchez-vous, mon « supérieur ».
- Hum… Hawk, Lieutenant Daniel Hawk.
- Merci à vous. A présent je vous laisse monsieur « rien du tout ».

Cormak se prépara à sortir. Il allait trouver cet homme et s’amuser un peu avec lui. Pourquoi pas un petit pari discret? Histoire de ne pas avoir d’ennuis avec la législation et en même temps récupérer ladite capsule. Il partirait aujourd’hui c’était certain.
Mais juste avant de quitter le bureau, une chose attirait son attention. Au dessus d’une commode où trônait un vase visiblement ancien se trouvait un portrait. Un portrait… d’un ange. Bizarrement le visage bougeait presque, comme s’il pouvait le regarder avec ses yeux verts. C’était un être magnifique dénué de vices et de cruauté. Après un petit moment, celui-ci commença à s’éloigner dans le tableau, comme s’il voulait échapper au regard du lieutenant.
Mais lui voulait encore le regarder ! Il avait quelque chose de familier, comme s’ils se connaissaient sans le savoir :

« Cet ange est magnifique. Comment pouvez-vous posséder un tel chez d’œuvre ?
- Pardon ? Ce tableau ? Mais c’est mon père dessus, qu’est-ce que vous racontez ? »

Mais Cormak ne l’écoutait plus. L’ange commençait à s’enfoncer dans le tableau profondément, et bientôt le marine ne le verrait plus. Il s’exclama alors :

« Attends ne pars pas ! »

De suite après ces paroles, il s’élança vers le tableau pour rejoindre cet être féérique, vers un monde auquel il savait qu’il appartenait. Le portrait se rapprochait, il pourrait bientôt s’y glisser comme une ombre.
Au lieu de ça il s’écrasa contre le mur en plongeant et en tentant de se rattraper, fit basculer la commode qui lentement s’effondra sous les cris de stupeur du maître des lieux.

Il se rattrapa in-extremis et parvint à rétablir son équilibre. Le meuble s’écrasa, le vase tomba et se cassa. Aussitôt des cendres se firent voir à l’intérieur. Certaines s’envolèrent tel le pollen au printemps, formant un micro nuage gris :

« MAMAN !! Noooon maman ! Tu as cassé ce qui restait de Maman !! »

Cormak ouvrit les yeux et regarda le tableau. Il n’y voyait plus que le visage bouffi d’un militaire ordinaire et sans relief. Que s’était-il encore passé ?
Il prit enfin conscience de la situation et avisa qu’il ne valait mieux pas traîner dans le coin.
Couvert par les supplications désespérées du lieutenant-colonel, il s’éclipsa donc rapidement.
Tant pis pour cet insecte, il avait mieux à faire. Se dépêcher de trouver ce Daniel Hawk et quitter cette île avant que son gérant ne décide de lui faire avaler les cendres d’une bonne femme depuis longtemps endormie.

Après quelques minutes de recherche, où il avait plusieurs fois quémandé les services de quelques recrues nerveuses et faiblardes, il avait fini par le trouver. Le lieutenant Daniel Hawk. L’homme avec qui il allait s’amuser un peu. Il avait déjà un petit plan dans la tête et les rouages s’étaient aisément mis en place. Arrivant près d’une place circulaire à l’est de l’île, il aperçut la future victime.
Daniel Hawk était un bel homme, grand et élancé. Son physique de surfer blond et pédant contrastait avec son regard perçant et vif. Du grand blabla oui ! Il allait en finir rapidement. D’un pas assuré et élégant, Cormak s’avança et prépara son petit discours mielleux:

« Lieutenant Hawk ?
- Oui ?
- Bien le bonjour ! Je suis le capitaine Hugh Jackhomme et j’ai besoin de vous pour une mission importante ! On m’a dit que vous aviez l’intention d’emprunter le chemin vers East Bay, je me trompe ? Toujours est-il qu’il ne reste qu’une place aujourd’hui et que je dois absolument partir. Voyez-vous en tant que CAPITAINE mes obligations sont importantes. Je suis désolé pour vous lieutenant mais sachez que je me souviendrais de votre geste.
- Mais que se passe-t-il ? Je suis aussi très pressé capitaine ! Vous ne pouvez vraiment pas atten…
- Avez-vous votre ticket sur vous ? »

Le principe de passage de South Door à East Bay reposait sur des capsules pneumatiques individuelles activées par des tickets ronds en plastique. L’inconscient l’avait sorti et le tenait maintenant négligemment dans sa main.
Cormak ne se fit pas prier. D’un geste rapide dont il avait le secret, il saisit fermement le ticket sous les yeux écarquillés du lieutenant. Il reprit alors d’un ton qui n’avait plus rien d’hypocrite :

« Et bien lieutenant on se laisse distraire ? Pauvre petite fourmi.
- Que voulez-vous ? Je vous préviens, vous allez tâter de ma lame si vous ne me rendez pas immédiatement ce ticket !
- Mais c’est qu’il a des griffes le petit ! Ecoute moi, si je t’ai pris ce bout de plastique, c’est pour être sûr que tu ne refuseras pas ma proposition. Je n’ai réellement pas envie d’attendre, je te propose un petit jeu. Un combat. Le premier qui blesse l’autre au visage gagne le droit d’arriver tout beau tout chaud dans cette chère East Bay. Qu’en dis-tu ?
- Nous battre ? Ici ? C’est stupide. J’ai ce ticket, il me revient de droit, je ne le jouerai pas.
- Tu n’as pas le choix mon petit chou. Ou préfères-tu que je t’assomme et que je m’enfuis avec ? Personnellement ça ne me dérange pas, mais un peu d’entraînement me fera le plus grand bien. Mais attends, peut être que tu as peur ? Je peux comprendre tu sais, les faibles cherchent toujours à éviter le confl… »

Sans le laisser finir, Hawk avait dégainé son épée. Il plongea rapidement et visa la joue droite de l’officier. Mais c’est qu’il n’était pas si mauvais que ça ! Ses mouvements étaient assez fluides. Mais pas assez. Cormak recula et esquiva la lame. Un tintement métallique retentit quand à son tour il sortit son épée de son fourreau. Il allait devoir faire vite, car le bruit allait attirer du monde et qu’il n’était plus très bien vu ici.
Il fonça alors. Les épées s’entrechoquèrent plusieurs fois, la sueur commença à perler sur le front des deux combattants. Aucun ne prenait l’ascendant sur l’autre, mais Cormak ne se battait pas à fond. Il prenait plaisir à ferrailler contre un égal, du moins au niveau du grade. Et surtout il exultait de voir qu’il était supérieur. Oh oui il était bien plus puissant que cette majorette de pacotille.
Après quelques minutes, il décida qu’il était temps d’en finir. Mais avec panache bien sûr. Il s’avança donc, mit plus de poids dans ses frappes et parvint sans trop de mal à repousser l’arme de son adversaire. Il s’apprêtait à lui entailler la joue quand un petit contretemps vint tout chambouler. Daniel Hawk, ne voulant décidément point s’incliner, s’était mis en avant et collait presque son ennemi. Impossible pour Cormak de relever la lame. Il avait néanmoins le corps entier du marine à disposition. Avec sa vitesse, il aurait pu facilement l’étriper. Mais il y avait trop de monde et il n’avait jamais tué un seul homme de sang froid. Autant que le premier ne soit pas un représentant de cette foutue justice.
Ce moment d’hésitation profita à l’adversaire. Il sortit un couteau de sa manche comme par magie et visa le visage. Une frappe puissante et directe. Si Cormak voulait l’arrêter, il devait transpercer l’abdomen de cet homme. Quel inconscient ce marine était de tout miser sur la clémence d’un autre ! Que faire ? Il devait frapper, il ne pouvait perdre contre une petite frappe pareille ! Le sang gicla sur le sol lorsque l’impact eut lieu.

Hawk était debout, Cormak avait reculé. Un sourire crispé déformait le beau visage du blondinet. Cormak l’observa, d’un de ces regards durs et froids dont il avait le secret. Sa vision se teinta d’un rouge vif peu à peu. Sur son front, une petite plaie déversait son fluide vital. Inconcevable. Il s’était laissé mener en bateau par ce…ce… Ses yeux devinrent fous, il devait se calmer, réfléchir posément à la situation. Mais c’était dur. Dur de perdre contre un lombric :

« J’ai gagné, à présent rendez moi ce ticket ! Je ne… »

En une fraction de seconde, Cormak était passé derrière lui et lui avait asséné un coup de coude sur la nuque. Le lieutenant était tombé, inconscient.
Jamais l’idée de lui rendre cet objet ne l’avait effleuré. Il avait joué à un jeu et il s’était fait avoir comme un débutant. Faible, voilà ce qu’il était. Cette pensée le rendait malade.

Alors que la capsule pneumatique arrivait en direction d’East Bay, Cormak n’arrivait toujours pas à digérer. S’il se faisait avoir par une vermine, s’il ne pouvait s’élever au dessus des autres, comment pourrait-il sauver Hélène ? Il lui manquait quelque chose. Il s’était entraîné, bien sûr, il aurait pu être satisfait. Mais ce n’était pas suffisant. Il devait trouver des nouveautés pour être à la hauteur de ses ambitions. Sa prochaine mission avec Foxy James pourrait peut être répondre à ses attentes. Et compenser l’humiliation qu’il venait de s’infliger.