Caillasse boisée

*Comme tout ce qui compte dans la vie, un beau voyage est une œuvre d’art*

Le Peacemaker planait au-dessus de la brume d’East-Blue, le vent battait les plumes d’anges avec silence. Son regard s’hasardait sur les petites masses de fumées blanches qui bordaient son aile meurtrie. Le sang ne coulait plus mais la plaie était bien là et Lafitte ne comprenait pas pourquoi il ne parvenait pas à bouger son aile. La douleur ? Il n’en avait pas vraiment conscience, son corps n’était que le pinceau et l’esprit était le créateur, il était impossible d’associer l’objet et le détenteur avec cet homme. Si le chapeau qu’il mordait l’empêchait d’afficher une moue dubitative, l’agitation de ses yeux manifestait une prise de conscience.

* Oh mais attend mon ami ! Si je n’arrive pas à battre mes ailes, Calm belt risque d’être une sacrée plaie à traverser ! *

Cette fois, le sourire de Lafitte transcenda son visage. Il semblait rire de la galère qu’il venait de s’éviter. Il orienta son aile encore vaillante vers le bas, il se mit à tourbillonner et perça la couche de brume qui le cachait des marines il y a quelques heures de ça. Il chercha du regard un petit quelque chose qui lui aurait permis de se poser et se soigner avant de partir à la conquête de la canne du vieux Hawkin’s à Baltigo, la terre blanche de la révolution. Ce n’était pas un petit quelque chose qu’il trouva du regard mais une grosse caillasse boisée. Ce n’était vraisemblablement pas une île, du fait de la taille, mais pas un récif non plus, du fait de sa flore arboricole. Disons un caillou sauvage pour l’usage.

Lafitte aborda une descente rapide et mal contrôlée dûe aux différences atmosphériques entre la zone brumeuse et la zone maritime. Ce sont ces variations qu’il maîtrisait suffisamment bien pour se dire navigateur du Black Delice et il n’en avait aucune fierté, il se savait bon dans son domaine et il n’y avait pas vraiment réfléchis. Cependant, l’aile froissée il y a peu l’empêchait d’aborder le vent comme il l’aurait fait par instinct.
Un bruit sourd et lourd fit raisonner le rocher, une branche venait d’accompagner l’atterrissage dépourvu de finesse de celui qui est d’habitude si emprunt à la douceur.

Ses ailes disparurent une fois le pied-à-terre. Il prit sa canne d’une main et la fit tourbillonner autour de son index en analysant les lieux, une talonnette posée sur la branche et toujours le chapeau aux lèvres.

La végétation était luxuriante, de bâbord à tribord aucun signes de vie humaine, une caillasse vierge de civilisations.

« Ca m’semb’e par’ait pou’ m’soigner »

Lafitte marqua un temps d’arrêt, le regard hagard. Il semblait dérangé par quelque chose qui gênait son élocution pourtant si bonne d’habitude. Soudain, il lança sa canne en l’air et saisi le Pose qui trônait dans le fond de son chapeau depuis le départ de la base des marines, d’un mouvement sec de la tête, il fit passer son couvre-chef du menton au sommet de son crâne. La canne abordait sa descente vers l’index tendu de l’artiste, prêt à reprendre son ballet quotidien.

« Voilà qui est mieux comme ça ! ahaha ! »

Les brindilles de bois sec craquaient sous l’impact des talonnettes du Peacemaker, sa canne brassait l’air pour créer un chemin à travers la broussaille, un léger sifflement animé son jardinage endiablé. Il arriva à une petite étendue herbeuse où un large Bananier offrait un peu d’ombre à son pied. Le navigateur posa sa canne et prit une liane qu’il venait de pourfendre, la corde de fortune passa dans le loquet en métal du Pose pour finir autour de son cou. Il s’approcha ensuite du Bananier et arma son pied, la talonnette en métal arracha l’écorce de l’arbre sur 30 centimètres. Lafitte esquissa un sourire et ramassa l’écosse fraichement tombée pour l’appliquer sur sa plaie.

« Hahaha, c’est bien la première fois que ce vieux Doc Q. m’aura dis une chose utile ! La sève de Bananier ! Sacré mourant va ! Ahaha ! »

Il prit un régiment de Banane et s’allongea contre l’arbre, le chapeau tombant sur les yeux. Après une dizaine de Bananes, le sommeil allait venir comme de juste. Les yeux grands ouverts, Lafitte était prêt à s’endormir.

*Le rêve permet à l’Homme de ploc … Ploc ?*

La fraîche soirée qui avait bercé le sommeil réparateur de Lafitte s’était mutée en pluvieuse journée. Le clapotis continuel des gouttes contre son couvre-chef l’avait sorti de sa torpeur mensuelle. Il venait de faire une grosse dépense d’énergie sans ruptures depuis que Barbe Noire lui en avait donné l’ordre. Un petit somme de temps en temps n’entachait en rien sa fonction de vice-capitaine.

Après un revers de la main destiné à replacer son haut-de-forme, il s’appuya sur sa canne pour se relever et se retrouva sur ses talonnettes en un tour de bras. Le costume détrempé et le pantalon boueux, il n’avait pas vraiment la finesse vestimentaire que l’ensemble du Black Delice lui reconnaissait. Du bout des doigts, il souleva l’écorce de Bananier pour vérifier l’état de la plaie. A son grand étonnement, la blessure béante et gerbant de liquide rouge n’était presque plus. Son instinct de navigateur reprit bien vite l’esprit en main. Le changement climatique avait été radical, le vent qui l’avait porté jusqu’à cette caillasse n’était pas porteur de cumulus. Le climat d’East-Blue n’avait pas la capacité de changer à la vitesse de celui de Grand Line. La conclusion était simple.

« Ahaha ! J’ai dormi Deux jours ! Tu parles d’une nuit ! »

Le pommeau de la canne se coinça dans la bretelle du Peacemaker et le show angélique reprit. Les plumes se mutèrent sur ses bras et d’un coup d’ailes, il avait fait ses adieux à son havre de paix éphémère, le Pose autour du cou. Un régiment de bananes dépouillé et un sol saccagé de trous de talonnettes, la caillasse s’en serait bien passée.

L’oiseau battait des ailes avec violence pour se tirer de cette pluie torrentielle qui alourdissait son vol. Il ne pouvait pas profiter des courants ascendants pour planer sur de longues distances tant la flotte qu’il se prenait sur les plumes le ralentissait, il devait donc sans cesse faire l’effort de prendre de l’altitude pour le reperdre une centaine de mètre plus loin.

"Salopris de flotte ! Ahaha ! Je galère pour un navigateur ! C’est pas un temps pour les anges ! "

*** Deux heures plus tard, Calm Belt ***

Le plat climatique habituel de la Calm Belt, enfin une valeur sure !

FLAP FLAP FLAP FLAP

Le battement de ses ailes était régulier, aucune variation, comme une mélodie qui trouvait sa finition dès les premières notes. Le papier à musique défilait inlassablement, le temps n’avait pas tellement de répercussion sur son mental, il fallait juste ne pas décevoir son capitaine. Il fallait bien l’avouer, il avait terriblement peur de ne pas réussir à créer d’œuvres suffisamment belles pour les noirs desseins de Teach. C’est donc rempli de crainte et confronté aux regards étonnés des piafs que notre emplumé faisait route vers Grand Line, prêt à suivre les instructions de l’Eternal Pose.