Destination: Loguetown !

Ce n'était pas des infos à 1 Million le mot que me refilaient les frangins, mais elles avaient l'air plutôt fiables. Sans doute la maîtrise de leur spécialité accordait-elle un peu plus de crédit à leurs propos, que j'aurais pu croire sortis de la bouche de deux ivrognes lancés dans un débat endiablé dans quelque taverne mal famée si je ne connaissais pas déjà le contexte. La suite de la conversation fut évidemment saupoudrée d'anecdotes bien moins croustillantes à mon goût, mais relancer les deux bavards sur l'objet de ma curiosité aurait risqué de me trahir où d'éveiller leurs soupçons.

Le repas en lui-même était somme toute correct. J'en avais connu des meilleurs, rarement certes si l'on exceptait mon enfance mais tout de même, et des moins bons, mais n'ayant posé le pied qu'à bord d'une poignée de navires, mon expérience ne m'était pas d'une grande aide pour juger de si le cuistot faisait à bord de l'Albatros du bon boulot, ou en tout cas du meilleur boulot qu'ailleurs. Je n'eus pas le temps de vraiment m'attarder sur la question du "Combien d'étoiles mériterait le gîte et le couvert sur un guide Michelin" puisque le quart suivant pointait déjà le bout de son nez. Il se passa sans grande surprise lui non plus, ce qui me satisfaisait totalement, le trio que je formais avec les Grenaille tenant la distance, sans faire d'étincelles d'aucune sorte que ce soit. L'un dans l'autre, le voyage se passait donc bien.

La soirée me conforta dans l'idée qu'il faisait bon vivre à bord de ce navire. C'était plus ou moins l'idée que je m'étais faite de ce genre d'équipage où tous les gars sont déjà rodés, de vrais marins de la plante des pieds à la racine des cheveux. Les contes où la vérité trempait plus d'une fois dans le mensonge pour devenir de vrais mythes, les verres se vidant d'une traite, les concours divers et variés, les jeux où la tricherie se faisait la part belle...une nuit rythmée mais agréable puisque chacun savait rester à sa place. Enfin tout ça c'était jusqu'à l'arrivée de l'élément perturbateur, comme il y en avait un dans toute bonne histoire. Ici c'était un sacré cube, de deux mètres de côté, avec sa sympathique moustache que j'aurais pu appendre à apprécier avec le temps dans d'autres circonstances.

Les gars, on a une main d'oeuvre à deux millions à bord.

Hé merde...Hein ? Deux Millions ? Mais il avait bu quoi celui qui m'a collé autant sur le dos ?

La bonne nouvelle, c'est que je gardai cette petite remarque pour moi, sans quoi je serais passé pour un abruti en prime. L'autre bonne nouvelle, c'est que l'élément perturbateur ne met pas un terme à l'histoire, sinon le roman tournerait court. Et c'était franchement pas plus mal comme ça, sinon j'aurais fini becqueté par les poissons avant l'aube. Au lieu de ça, le Capitaine se paya un temps ma tronche, ce à quoi je répondis par un rictus à moitié caché par mes traits brouillons. Je ne compris de toute façon pas grand chose à ses propos pour ne pas savoir quels griefs étaient retenus contre moi justifiant une telle prime. La suite fut en revanche beaucoup plus douce à mes oreilles.

Bon, trêve de blague. Le fric je m'en fous, mais je ne me rendrai jamais complice de piraterie en protégeant un pirate.

Un type désintéressé ? Comme quoi dans tout malheur il y a quand même une petite parcelle de chance.

L'hésitation qui s'en suivit me glaça le sang un instant, mais je restai assis dans mon coin sans tenter le moindre geste inconsidéré avec une vingtaine de paires d'yeux fichés sur ma pomme, conscient que faire des vagues maintenant ne serait pas très avisé. Finalement, le pour et le contre évalués en une grosse seconde, Billy rendit son verdict, qui m'arrangeait sacrément il fallait l'admettre. En prime elle était pas illogique sa méthode de rendre justice, ce qui rendît le personnage un peu plus sympathique à mes yeux.

Je lui répondis d'un hochement de tête significatif, traduisant à la fois le fait que le message était bien assimilé et mes remerciements pour la clémence affichée.

Tandis que la soirée reprenait ses droits, je me levai pour avoir un mot de plus avec le Capitaine, que je rejoignis dans un coin un peu plus calme de la salle, encore surveillé du regard par deux ou trois matelots. Tandis que le mastodonte me fixait lui aussi, je demandai, sans trop hausser la voix, ne jugeant pas utile de faire de mon problème le sujet vedette de la soirée.

-Puis-je jeter un coup d'oeil à cette affiche ? Aussi curieux cela puisse t-il paraître, je n'ai jamais eu l'opportunité de la voir avant, ça me semble le bon moment pour en prendre connaissance...

Puis, après un léger temps.

...difficile de prouver mon innocence dans l'état actuel des choses de toute façon, mais merci du geste. Dès que nous accosterons, je ne serais plus un problème pour vous.

Un perfectionnement dans la technique de sculpture sur bois contre une simple information destinée uniquement à satisfaire la curiosité d'un vieil homme ? Marché avantageux, de quoi avoir des scrupules, mais il faudrait pouvoir estimer la valeur de ma réponse pour cela. J'ignorais celle qu'accordait Emile à mes mots. J'ignorais également sa propre valeur.

Je te dirai demain si tu peux le savoir ou non.

Je me tus et continuai à tailler la forme générale.

La soirée offrit une nouvelle ambiance. Les salles ne répondaient pas encore aux normes d'hygiène, mais c'était présentable et le plus pénible était fait. J'escomptais bien ne pas devoir recommencer le labeur de la veille, alors je suggérai à Emile de fournir à chaque marin un tonnelet vide pour se soulager les tripes. Je n'insistai pas là-dessus, il s'agissait plus d'une suggestion que d'une réclamation, mais elle était importante. Si le maître charpentier faisait passer le mot et veillait à ce que mon idée soit appliquée, j'y verrais une marque de respect. Si ce n'était pas le cas, j'aurai une signature sociale que je n'étais pas plus qu'un ramasse-merde au sein de l'équipage, et que je ne devais rien espérer en tirer, tout comme il ne devrait rien attendre de moi. C'est en prenant le banalité de ma proposition comme une chose importante que le vieux me démontrerait qu'il est apte à porter crédit à ma réponse sur "ce que je fais" avec ce rondin.

La petite fête se déroula sans moi. Je ne voulais pas y participer, mais en plus de ça mon absence était utile à mon test. Si celui qui ramasse vos déchets est juste à côté de vous, avec un minimum de bienveillance vous veillerez à ne pas lui alourdir le boulot. En n'étant pas là, je n'influençais rien. Certains pourraient peut-être même voir en mon esquive une forme de refus de partage, et éviter tout scrupule à souiller le sol. Certains individus, plutôt bêtes, n'ont pas besoin d'un fait supplémentaire pour arriver à ce genre de conclusion.

Je passai ma soirée à dormir, enfin.

Grand Line, nous voilà !

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'Dé du destin' : 4

La petite soirée prévue c'était déroulée à merveille, même après une interruption des plus étrange ; en effet, elle avait ouvert la réflexion à plusieurs hommes, dont les deux frères, et c'était à souligner. Le capitaine, après tout cela, avait fait preuve d'une grande noblesse et d'un respect de sa parole entier en avalant plus de trois fois son poids. C'était ce genre d'action qui le rendait si populaire auprès des hommes de l'Albatros. Il n'était pas une femmelette et entendait bien rester un homme pour les siens. D'ailleurs, un d'eux avait eu l'audace d'aller vomir par dessus bord ce qui lui valut une remontrance des plus tenaces un peu moins de 4heures avant le départ prévu pour Grand Line. Bully était certes ivre mais cela n'interférait en rien avec ses paroles sobres, la différence résidait dans le timbre de sa voix qui vacillait autant que l'homme face à lui, pouvant réveiller tout bon dormeur lourd. Les autres membres de l'équipage n'avaient pas osé sortir, pour ceux encore en état de le faire et s'étaient contenté de laisser leur supérieur à sa morale, plus ils seraient à s'en mêler et plus fort crierait le capitaine, aussi, se terrer restait idéal.

Après cette nuit plutôt agitée et environ 4heures plus tard, le navire se mit en route avec, à sa barre, une grande stature dans une forme olympique. Quelques heures de sommeil suffisaient à un homme et d'ailleurs il ne fit pas réveiller ses invités surprises, ils se lèveraient d'eux même…