Traversée vers Gemeylrum

Alexander Roc est ce type d'homme qui aime à croire que l'on peut baser n'importe quelle décision sur les faits observés. En principe, c'est souvent le cas, mais que se passe-t-il si on ne connait pas parfaitement le passé d'un homme qu'on hisse inconscient sur un bateau levant les voiles vers une capitale notoire de l'alcoolisme avec à son bord un timbré du coutelas ? La réponse prit forme sous ses yeux, et ne lui plu pas vraiment.

Après avoir molesté le pauvre garçon d'un bon coup de pied abdominal, William s'était mis à lui parler. De la barre, rien de suspect, le Rouge prenait son pied en se montrant supérieur au nouveau venu, rien d'incroyable... Petite intimidation de bienvenue si on peut dire. Brask se concentra donc sur le cap à prendre. Les voiles se gonflèrent sans peine et en quelques minutes la caravelle avait quitté la crique où elle avait passé la nuit. Dans le ciel se regroupaient des nuages et le vent soufflait fort. Ce ne était pas un voyage confortable qui les attendait, mais tout du moins ce n'était pas un voyage lent non plus.

Le rire de William tira le navigateur de ses pensées. Il le vit soulever le nouveau et se préparer à le faire passer par dessus bord. Ce geste qui, à première vu, aurait du être la source de la grimace de Brask lui passa tout bonnement par dessus le bonnet. Ce qui le mit hors de lui c'était l'expression de chaton apeuré qui se dressait sur le visage de Grimmer. Alex attacha la barre pour que le cap ne change pas et descendit rejoindre ces deux "compagnons".
Sans vraiment comprendre comment, le dreadeux retrouva les deux pieds qui ballotaient quelques instants plus tôt au dessus de la mer juste devant lui alors que William était roulé en boule sur le sol. C'est à ce moment que ce pragmatique binoclard senti son esprit terre à terre s'envoler pour rejoindre les plus hautes strates de la violence gratuite. Les deux pieds déjà cités s'envolèrent alors que la tête du corps auquel ils appartenaient s'approchait dangereusement du sol qu'ils foulaient alors. Phrase ambigüe pour dire que Brask avait saisi le crane de Grimmer pour l'écraser au sol.

On senti quelque chose craquer sous l'impact, mais aucun dégât ne fut à déplorer. Contrairement à William, Alexander Roc n'était pas le genre d'homme à réagir à ce type de situation en faisant couler le sang et en tuant les nuisibles. Roc, lui, était plutôt du genre à réduire en miette chacun des os de ces gêneurs, en commençant bien entendu par ceux qui n'engendreraient pas un trépas immédiat.

-Laisse moi parler à la tafiolle.

Quiconque associait cette phrase au visage du Dreadeux à cet instant aurait tôt fait de prendre ses jambes à son cou. Toute l'attitude de Brask à ce moment portait à faire croire que le garçon étendu au sol était en très mauvaise posture. Son visage et le ton de sa voix étaient impassibles, neutres réguliers, mais tout son corps vibrait d'une énergie presque animale qui trahissait ses réelles intentions.

-Si t'arrive pas à me donner des raisons de te garder à bord, je te promet que j'utilise le mat comme catapulte pour te renvoyer là où je t'ai trouvé.

-Dis... « Brask » c’est bien ça ? Je te conseille de reprendre assez vite ta barre sinon ca n’est pas moi qui tomberai à l’eau… mais le bateau tout entier !

Le poing d'Alex était en train de tranquillement s'élever au dessus de son épaule lorsque Grimmer prononça ces paroles. Cela valut au bras impatient de s'abattre un ordre, ou plutôt une absence d'ordre, de la part du cerveau de son propriétaire. En effet, toute l'attention de la matière grise présente sous les dreads s'échauffait à essayer de comprendre le sens de cet énoncé. Il n'y avait en effet aucune raisons pour que le navire chavire. Si ce n'est la secousse qui suivit.
Brask lâcha prise sur les vêtements de sa présupposée victime et se releva. Il passa à côté du corps inerte de William et se pencha par dessus la rambarde. Il savait très bien que ce ne pouvait pas être le vent ou un courant qui avait provoqué la secousse. Non seulement il était certain qu'il l'aurait vue venir, mais elle n'était pas... naturelle.
Il n'y avait pas une infinité d'explication possible. Et il fallait au navigateur une confirmation de sa principale hypothèse, qui ne lui plaisait pas tant. Cette confirmation fut apportée par la silhouette du monstre marin qui s'étendait sous le navire. Il était bien plus imposant que leur embarcation qui ne semblait guère plus qu'une barque à côté.

-Et merde !

Brask s'élança vers la barre. Il fallait absolument que la trajectoire du navire change avant que la créature ne la réduise en miettes. Il n'eut le temps de faire que quelques pas avant le deuxième seconde, bien plus puissante, qui manqua de l'étaler sur le pont de peu. Il réussit de peu à s'accrocher à barre et la faire tourner. Il redressa enfin la tête pour voir la réaction du passager qu'il n'était plus sûr de considérer comme compagnon.

Voyant Grimmer disparaitre dans les fonds de cale avec son boulet, Alex devina son intention, et manœuvra le navire afin de lui offrir le meilleur angle de tir. Seul problème: il ne savait pas où se trouvaient les canons, sur le côté ? à la proue ? grand mystère. Il lui fallait réfléchir vite, et surtout agir. Ses mains firent tourner la barre à une vitesse folle afin d'éviter de justesse une nouvelle confrontation frontale avec le monstre. Le monstre, qui cherchait de ses yeux l'objet qu'il avait déjà heurté par deux fois et qui commençait sérieusement à l'irriter. La hauteur absurde que l'animal prit en jetant son regard sur l'homme se tenant à la barre, à la fois menaçant et rempli de question telle que "Pourquoi faut-il qu'à chaque fois que je vienne prendre l'air, il faut que ces créatures viennent m'emmerder avec leur gros trucs flottants ?". Un peu comme on se demande quel malin plaisir les moustiques viennent nous chatouiller les oreilles la nuits...

Brask regarda droit dans les yeux du monstre (pas très futé comme réaction: allez-y pour intimider une créature qui fait une bonne dizaine de fois votre taille, dont le tranchant des crocs est sacrément inutile vu qu'ils ont plutôt tendance à vous broyer en morceau), sans vraiment savoir pourquoi, il lui sembla un instant que la créature allait se retourner et nager au loin, tranquillement, sans demander son reste. Jusqu'au moment ou un fort courant d'air fétide et plein de haine fit voler les dreadlocks du skipper. La gorge béante qui s'était offerte à la vue du pirate semblait ne pas avoir de fond, et ils risquaient bien, estima Brask, lui et le bateau, de s'y retrouver plongés entièrement.

Et pendant ce temps, William Morgan glissait d'un côté à l'autre de l'embarcation, toujours inconscient, alors que cette dernière tanguait d'un côté et de l'autre, oublié de son compagnon.

Compagnon qui, toujours seul face à l'horrible apparition qui se demandait quel goût l'homme avait, se décida soudainement que les canons devaient se trouver sur les côté, car si ce n'était pas le cas, Grimmer allait forcément rater son tir. Et c'est fou comme, parfois, la réalité semble bien vouloir s'accorder à votre avis, alors qu'à d'autres occasion, elle semble n'en faire qu'à sa tête. Une explosion retentit, et la créature sembla prendre un grand coup dans les côtes, ou peut-être même dans un endroit plus propice en vue des circonstances. En effet, le visage (par considération du monstre marin, l'auteur a, ici, bien voulu lui attribuer des caractéristique dignes de l'être humain. Vous êtes priés d'être compréhensifs.) de cette abomination sembla se gonfler et devenir écarlate.
Anticipant la suite des évènements, Brask donna un nouveau coup sur la barre, faisant faire un quart de tour au navire, histoire de profiter du nouveau coup de souffle du monstre. Les voiles se gonflèrent d'air impur et de postillons, le mât gémit sous la force de l'expiration mais tint bon, et le pas-encore-vraiment-bien-nommé Bloody Mary fit un bond en avant. Les bras tremblants, le capitaine n'osait pas regarder en arrière, se fiant aux secousses décroissantes pour déduire qu'il s'était écrasé sur la surface de l'eau ou qu'il avait préférer retourner dans ses profondeur, où aucun moustique ne venait lui chatouiller les écailles.

Le cœur battait la chamade, on aurait dit un percussionniste frustré de devoir tenir un rythme de slow pendant une soirée de jeunes rebelles de la vie décidé à se défouler sur tout ce qu'il croisait. Sur les trois passagers du navire, Brask était le seul à être resté sur le pont, et était donc resté comme potentiel en-cas primaire au monstre. Il gardait son regard droit devant lui, par chance, une île se dessinait gentiment à l'horizon et semblait incarner leur destination, Gemeylerum. Par chance encore, le monstre qui les avait attaqué avait fuit sous les flots, mais notre barreur à lunettes de soleil en était encore inconscient. Il n'osait toujours pas se retourner pour se confronter à une réalité qu'il ne faisait qu'imaginer. C'est intéressant de voir comme l'esprit humain est prompt à se préparer aux pires élucubrations lorsqu'il se trouve dans un état d'ignorance au sujet d'un simple détail, pouvant néanmoins lui couter la vie.

Après quelques instants à attendre la tant attendue terminaison de cette terrible attente, le dreadeux finit par relâcher son souffle. Cette détente lui avait été forcée, car son corps, ne se sentant par broyé par des crocs faisant deux ou trois fois sa taille, décida de ne pas se laisser mourir par asphyxie. Décision fortuite, car en reprenant son souffle, notre personnage, toujours à la barre, put remarquer l'absence de l'odeur mortifiante de la créature qui le menaçait quelques instants plus tôt. Se retournant lentement, notre homme ne pu que remarquer l'imposante présence de l'horizon, s'étendant à perte de vue. Le monstre était parti. Sentant se jambes se dérober sous son corps, il du se rattraper à la roue de bois qui lui permettait de diriger le navire.

"Ben cette fois, on a eut chaud..."

Se redressant pour rectifier le cap, Brask se mit à penser tout fort, bien que chuchotant à des choses si futiles qu'elles laisseraient perplexe n'importe qui:

"De la bière... De la bière et des gaufres... Ce s'ra la prochaine chose que je boufferai ! Des gaufres et de la bière... Et un couteau à beurre ! Il me faudra un couteau à beurre !! Absolument !!!"

Ce délire inexpliqué et absurde était prononcé de manière à ce qu'il aurait fallu être juste à côté de lui pour l'entendre, et surtout le comprendre. Il s'agissait en fait d'une réaction instinctive et inconsciente de Brask afin de se rendre compte qu'il était encore vivant et que son avenir existait encore. Il voyait maintenant Gemeylerum se dessiner de plus en plus clairement à l'horizon. Il ne savait pas ce qui l'attendait là bas, si ce n'était peut être une bande de pirates du dimanche à qui botter les fesses et... Des gaufres ! Mais avant cela, il lui fallait avoir une petite discussion avec les deux autres passagers du navire. Cette rencontre avec la mort l'avait décidé: il ne laisserait personne décider de son avenir, seul lui pouvait savoir ce qu'il allait faire ensuite et il ne tolérerait aucun capitaine au dessus de lui. Il allait donc devenir le capitaine des Toukotsu, c'était lui, de plus qui avait trouvé ce nom. Et il allait le porter de manière grandiose sur le devant de la scène.

Alors que la journée continuait son cours, dans le ciel une ombre se traça, un simple V de forme au début pour se préciser de plus en plus au fur et à mesure. Un oiseau, voila ce que c'était, un pélican pour être précis !

Cet animal au plumage monochrome voltigea jusque devant la personne sous elle et amorça un atterrissage en douceur. Les détails de son être apparurent alors plus précisément à qui y prêterait attention : une casquette plus sombre parée d’un tissu et, autour du cou, une mallette de cuir portant l’inscription « NEWSPAPER ».

Arrêté et au sol, il se mit droit et attendit de voir si la personne désirait un de ces fameux journaux bien connu en échange de 50 berrys uniquement. L’oiseau ne s’attarderait nullement, ayant encore énormément de zones à desservir : un oui ou un non rapide était de mise afin de lui indiquer s’il devait laisser la personne ouvrir la mallette.


D'un hochement de la tête, Brask signala à l'oiseau qu'il allait prendre un exemplaire du journal et déposa ce qu'il devait au volatile, avant de s'emparer d'un de ces ensembles de papier qui renfermait des informations du monde entier. Très vite, cette information fit sourire notre pirate, qui ne fit même pas attention à l'envol de l'animal postier alors qu'il lisait le premier article. Dès qu'il eut finit, il tourna les pages avant de déchirer la page qui l'intéressait. Une très belle photo de lui même, arborant un sourire éclatant qui faisait reflet à son visage au moment même. Il trouvait la série de zéros qui s'étendait sous l'image assez plaisante elle aussi.
Le capitaine auto-proclamé des Toukotsu Kaizokudan était maintenant primé, et cela lui faisait visiblement plaisir. C'est pleinement satisfait qu'il attendit le retour des deux hommes qui avaient disparu dans la cale, le journal plié sous un bras avec la page des nouvelles primes, l'autre bras maintenant fermement le cap.

Se croyant seul, Brask s'était permis un petit délire, mais il remarqua un peu tard que William était toujours présent. Alors qu'il allait lui adresser la parole, ses yeux retombèrent sur l'horizon, duquel avait disparu ce qu'il prenait pour son objectif. En jetant quelques coups d'œils aux alentours, il le retrouva rapidement. À cet instant présent, Gemeylerum semblait se déplacer rapidement et posséder une dentition aussi meurtrière qu'une scie circulaire.
Premier reflex, un grand coup sur la barre afin de réduire le choc qui n'allait pas tarder, et un grand cri:

"WILL ! VA CHERCHER L'ASPERGE!"

Will disparut rapidement et réapparu quelques instants plus tard, trainant le pauvre Spatha devant lui. Dès que les deux hommes firent irruption sur le pont, Brask laissa sa barre et marcha droit vers celui qu'il avait tantôt surnommé asperge. Il en était convaincu, vu la réaction que le garçon avait eut peu avant l'apparition du monstre, ce gars s'y connaissait en animaux. D'une manière ou d'une autre il allait les sortir de là.

Spatha s'était éloigné de William, ce qui était compréhensible vu la façon dont il avait été traité jusque là. Mais il n'avait pas vraiment fait attention aux mouvements du dreadeux, qui l'attrapa violemment par l'épaule pour le pousser vers un des côtés du navire. Une fois sur place il le poussa contre la rambarde et lui adressa la parole.

"Tu vois là-bas, dit Alex, désignant l'aileron du requin qui fonçait sur eux. Tu sais ce que c'est aussi, il ne s'adressait pas à Spatha sur un ton interrogatif. En gros t'as le choix: soit tu me trouves un solution à ce problème, soit ce sera toi la solution. Tu t'es bien débrouillé jusque là, alors je te laisse une chance: prouve moi que tu ne nous sera pas inutile tant que tu seras en mode légume."

Le raisonnement de Brask était simple: parfois l'asperge était une vraie bête de bataille, il avait pu le constater sur Baterilla, d'autre fois il était aussi flasque comme la régurgitation d'un porridge aussi collant que du béton. Il était aisé d'en déduire que le garçon souffrait d'une forme de dédoublement de personnalité, même si on ne savait pas ce que cela voulait dire. Quant à l'ultimatum imposé, les requins étaient attirés par le sang, d'ailleurs ce devais être celui du monstre marin qui avait attiré celui-ci. Mais lorsque le poisson avait remarqué son manque d'envergure face à l'autre bête, il s'était décidé à s'attaquer au bateau. Seulement, si l'équipage laissait tomber un cadavre dégoulinant de sang dans l'eau, il pourrait s'échapper pendant que cette seconde horreur maritime faisait un sort à ce steak qui lui serait offert. Voilà, en résumé, ce qui était passé par la tête du dreadeux binoclard.

"Will, je vais t'emprunter un couteau, ça te dérange pas non ?"
Le regard lancé par Brask au Rouge était clair: discutes pas, on a pas le temps pour ça, et toute manière ça va te plaire.